Comment expliquer les morts d’enfants palestiniens et israéliens et les violences dont ils sont victimes ? Ou la sauvagerie des combattants en Sierra Leone qui coupent les membres des enfants ? Ou l’enlèvement systématique de milliers d’enfants en Ouganda qui vont grossir les rangs des combattants des guérillas et servent d’esclaves sexuels ? Graça Machel, auteur d’une étude qui a fait date sur les conséquences de la guerre sur les enfants (rapport des Nations unies sur l’impact des conflits armés sur les enfants, 1996), suggère que cette dépravation ne peut se comprendre que comme le produit du « vide moral » qui caractérise le monde désolé des conflits armés.
Au moins deux millions d’enfants sont morts ces 10 dernières années à la suite de guerres déclenchées par des adultes, qu’ils aient servi de cibles civiles ou qu’ils aient été tués au combat en tant que soldats. Le nombre d’enfants gravement blessés ou invalides est trois fois supérieur, et ils sont encore plus nombreux à souffrir de maladies, de malnutrition, de violences sexuelles et des privations de l’exode. D’innombrables enfants sont confrontés à l’angoisse de perdre leur foyer, leurs biens et leurs proches. Dans de telles conditions, pratiquement toutes les constantes nécessaires à l’épanouissement des enfants sont gravement perturbées, et les dégâts psychologiques des conflits armés sont incalculables.
Dans son étude la plus récente, (The impact of War on Children: a review of progress since the 1996 United Nations Report on the Impact of Armed Conflict on Children – progrès accomplis depuis la publication du rapport des Nations unies sur l’impact des conflits armés sur les enfants UNICEF 2001), Graça Machel fait un nouveau constat terrifiant : les conflits armés et le virus du Sida se propagent l’un l’autre en une monstrueuse symbiose, diffusant la destruction et violant les droits des enfants à une échelle encore jamais vue, dans la mesure où ces deux phénomènes renforcent les conditions qui favorisent leur diffusion simultanée.
L’exploitation criminelle des enfants, et le fait qu’ils soient pris comme cibles dans les conflits constituent une violation non seulement de leurs droits mais aussi des fondements mêmes de la paix et de la sécurité internationales. Lorsque des enfants se voient refuser la possibilité de grandir dans un climat de confiance, de tolérance et de justice, l’espoir d’endiguer les conflits au cours des générations suivantes est en fait très faible. Il est clair par exemple que les caractéristiques de la guerre que nous observons au Moyen-Orient – attentats suicides à la bombe et embuscades, utilisation d’artillerie lourde et mitraillage par hélicoptère de zones civiles, destructions de maisons au bulldozer, rafles de pères et de frères – contribuent à ancrer chez de nombreux enfants la conviction que la violence est une méthode acceptable de règlement des différends.
Pourtant, il est aussi vrai que depuis la publication du rapport Machel en 1996, nous avons constaté la réalisation de progrès significatifs pour tenter de protéger les enfants dans des situations de conflit et pour assurer que leurs intérêts sont au centre des préoccupations lors des opérations de pacification, de maintien et de construction de la paix. Avec le Tribunal criminel international, dont la mise en place est imminente, le monde disposera d’une institution consacrée à la lutte contre l’impunité des crimes de guerre commis contre les enfants et d’autres victimes civiles. Ce tribunal sera habilité à demander des comptes aux parties coupables comme le font actuellement les tribunaux internationaux pour le Rwanda et pour l’Ex-Yougoslavie. Dans le même temps, on en est venu à s’intéresser de près au rôle joué par certaines entreprises dans le déclenchement ou la prolongation de conflits et de troubles, à l’occasion des recherches sur les liens entre les conflits armés et le trafic de diamants en Angola et en Sierra Leone (voir l’article de Charmian Gooch, page 52).
En février, nous avons salué l’entrée en vigueur du Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant (CRC) qui relève de 15 à 18 ans l’âge minimum pour le recrutement obligatoire de combattants et interdit aux mineurs de moins de 18 ans de participer à des hostilités. De plus, la CRC a défini des normes concernant le comportement que nous et les enfants eux-mêmes, avons le droit d’attendre des belligérants dans le monde entier.
Il est désormais interdit, par une convention internationale, de produire et d’utiliser des mines antipersonnel qui tuent ou amputent sans discrimination des enfants et des civils durant des dizaines d’années après la fin des combats, et qui constituent une menace durable pour la reconstruction et le développement. On s’intéresse maintenant à la prolifération honteuse d’armes légères qui peuvent être facilement maniées par des enfants soldats. Le Conseil de sécurité de l’ONU accorde aussi une attention croissante aux enfants victimes de la guerre, et plusieurs organisations régionales ont contribué à ce que les intérêts des enfants soient mieux pris en compte dans l’Agenda pour la paix et la sécurité internationale.
Cette plus grande visibilité de la cause des enfants au Conseil et dans d’autres instances atteste d’une profonde évolution de notre compréhension des besoins des enfants impliqués dans des conflits armés, et a préparé le terrain à l’adoption de normes plus strictes pour les protéger et améliorer l’assistance humanitaire. Il y a tout juste une décennie, la majeure partie de cette assistance privilégiait les besoins d’aide alimentaire, de santé et de nutrition, d’eau salubre, d’abris et de réseaux d’assainissement adéquats. Désormais, le soutien psychosocial, l’éducation, la recherche et la réunification des familles sont devenus des piliers de l’action humanitaire.
Entre tous, l’éducation joue un rôle crucial. Car, même au milieu du chaos, elle peut restaurer un certain degré de stabilité et de normalité pour les enfants. L’éducation offre une occasion unique de transmettre aux enfants des messages de survie sur des questions aussi vitales que la prévention du sida et la sensibilisation aux dangers des mines. L’éducation peut aussi permettre de semer la paix et la justice partout dans le monde. Aux États-Unis, les attentats terroristes de septembre ont conduit de nombreux éducateurs à se concentrer sur les moyens d’aider les enfants et les jeunes à exprimer leurs émotions à propos des événements et à réfléchir aux conflits armés et à la violence politique en s’informant et en faisant preuve d’ouverture d’esprit.
Des initiatives éducatives abordant les conflits en s’appuyant sur le respect des droits de l’homme conformément aux principes de l’UNICEF, prouvent, comme l’attestent des témoignages venus de lieux aussi divers que la Croatie, le Liban, l’Irlande du Nord, le Rwanda, le Soudan, la Bosnie et le Salvador, qu’il est possible d’enseigner les valeurs de paix et de tolérance. Nous sommes également convaincus que les écoles sont les mieux placées pour enseigner différentes techniques comme la négociation, la résolution de problèmes et la communication.
Par ailleurs, nous avons constaté que l’offre d’une éducation de base de qualité, en particulier pour les filles, peut réduire la probabilité des conflits. Les filles qui ont reçu une éducation de qualité deviennent des femmes instruites qui auront probablement moins d’enfants et ceux-ci seront en meilleure santé et mieux éduqués. Elles sont aussi plus à même de participer aux décisions qui les concernent, elles et leurs communautés.
Toutes ces questions et d’autres encore figuraient à l’ordre du jour de la Session extraordinaire de l’Assemblée générale de l’ONU consacrée aux enfants du 8 au 10 mai 2002. Cette Conférence mondiale est la plus grande et la plus ambitieuse qui ait été consacrée aux enfants et à leurs droits depuis le Sommet mondial pour les enfants de 1990. Initialement prévue en septembre dernier, elle avait été ajournée à la suite des attentats terroristes aux États-Unis.
Rares sont ceux qui s’attendaient à ce que cette Session spéciale apporte une panacée pour les enfants victimes de conflits armés. Il n’existe pas de formule magique pour amener les combattants à déposer leurs armes ou à relâcher sur-le-champ les enfants qu’ils ont enlevés. Mais la situation actuelle n’est manifestement pas tolérable. Tel est le message qu’il faut diffuser dans le monde entier, sous la bannière du Mouvement mondial en faveur des enfants. C’est une campagne menée à l’échelle de la planète, avec le concours de l’UNICEF et de ses partenaires, pour susciter un sentiment commun de responsabilité en faveur du bien-être de tous les enfants de la terre.
Dans une économie mondialisée, évaluée à plus de US$30 billions, il est clair que les ressources existent pour améliorer réellement la vie des enfants, de leurs familles et de leurs communautés. L’UNICEF se tourne particulièrement vers les pays de l’OCDE pour les inviter à prendre l’initiative. Les enfants du monde le méritent bien.
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