Comment expliquer cette sous-représentation politique des femmes ? Des raisons variées peuvent être avancées. On peut ainsi invoquer des facteurs historiques (la façon dont s’est construit le champ politique français depuis 1789), des facteurs sociologiques (la moindre disponibilité des femmes pour l’engagement public), des facteurs politiques (le fonctionnement partisan)2. Mais plus fondamentalement, on constate aujourd’hui encore, dans l’esprit d’une majorité de citoyens et d’acteurs politiques des deux sexes, la prégnance de représentations sociales qui sont largement antagonistes avec l’engagement politique au féminin. Il s’agit d’abord des représentations concernant les rôles de sexe. L’idée selon laquelle c’est en priorité à la femme de s’occuper de l’espace domestique et des enfants, car c’est avant tout là qu’elle doit s’y réaliser, est loin d’avoir disparu3. Pour faire carrière en politique, les femmes doivent bien davantage que les hommes pouvoir faire la preuve de leurs bons états de service familiaux, ce qui restreint l’éventail de leurs possibilités. En second lieu, le champ politique reste, on le verra, très largement pensé comme un univers viril. Pour ces deux raisons, la présence massive des femmes dans le champ politique, à parité avec les hommes, est difficilement acceptable, voire pensable, du moins à des niveaux élevés de la hiérarchie.
Ces représentations sociales s’expriment au sein du personnel politique via des discours et des slogans sexistes, parfois tenus en public (en particulier lors des campagnes électorales). En outre, elles se traduisent par une marginalisation tangible des femmes politiques : même si c’est moins net dans le contexte paritaire actuel, les partis sont en général assez réticents à leur accorder des investitures (surtout dans des circonscriptions gagnables) et des postes éminents (présidences d’assemblées, ministères pleins…). Tous ces éléments, que nous aborderons en premier lieu, incitent à poser le diagnostic d’un champ politique sexiste et travaillant à exclure les femmes, ou au moins à les reléguer dans ses zones déclassées et déclassantes. Cependant, cette explication n’est pas la principale (sans compter qu’elle est, on y reviendra, moins pertinente qu’il y a quelques années) : nous verrons dans un second temps que la réticence d’une forte proportion de dirigeants partisans, d’élus, de militants, mais aussi de citoyens, à envisager la présence massive des femmes en politique, tient en fait à des représentations plus générales très profondément ancrées dans les esprits.
Notre analyse s’appuiera largement sur une série de très longs entretiens semi-directifs (trente-deux au total) réalisés par Sylvie Pionchon auprès de dix hommes et vingt-deux femmes de tous profils sociaux, culturels, intellectuels et politiques comprenant des militant(e)s, des élu(e)s, de simples citoyen(ne)s. Ces personnes ont été invitées à s’exprimer à partir d’une consigne très large (« J’aimerais que nous parlions de la politique, ce qu’elle signifie pour vous, ce que vous en pensez »), ce qui a permis de constater les thèmes, les images et le vocabulaire qui surgissent spontanément dans leur esprit lorsqu’ils ou elles réfléchissent à ce thème, mais aussi de mesurer les différences de politisation entre les enquêté(e)s en fonction de leur profil. Ces trente-deux entretiens ont été analysés de façon thématique et qualitative (tous les propos cités dans cet article en sont extraits), mais ils ont aussi été intégralement retranscrits et analysés de façon quantitative à partir d’un logiciel de lexicométrie élaboré par Dominique Labbé, ce qui est une première pour un corpus oral si vaste (345 724 mots).
< Précédent | Suivant > |
---|