Ed : Les femmes accèdent au pouvoir. Mais le font-elles partout dans le monde ?
Anthony Bellanger : Oui et non. Non, parce que sur 198 pays représentés à l'ONU, seuls 15 (en comptant les reines) ont un Premier ministre ou un chef d'Etat femme. Oui, parce que de l'Amérique latine (réputée machiste) à l'Asie en passant par l'Afrique et bien sûr l'Occident, le fait de voir des femmes en politique se généralise. Par exemple, le Rwanda a un Parlement quasiment paritaire, à l'instar de la Suède. En Asie, le phénomène n'est ni récent ni limité. Il y a eu Indira Gandhi en Inde, Benazir Bhutto au Pakistan, Cory Aquino aux Philippines et, aujourd'hui, Mme Arroyo toujours aux Philippines – et, au Sri Lanka, des générations de femmes se sont succédé au pouvoir.
tirlipinpon77 : Doit-on voter pour une femme parce que c'est une femme?
Dans le dossier de couverture que nous publions dans Courrier international (n° 845), deux réponses s'opposent en fonction des femmes concernées. En France, le quotidien De Volkskrant est allé demander aux Françaises ce qu'elles pensaient de Ségolène Royal. Globalement, les femmes que le journaliste a rencontrées sont plutôt favorables à l'idée qu'une femme soit en position d'être élue. Cela ne signifie jamais qu'elles voteront pour elle uniquement parce que c'est une femme, même si beaucoup soulignent que cela influera sur leur décision. Aux Etats-Unis, le débat est plus ouvert. Notamment à cause de la personnalité de la femme concernée, Hillary Clinton. Les femmes interrogées reprochent souvent à Mme Clinton d'avoir "viré sa cuti", c'est-à-dire d'être passée en quelques années d'un féminisme pur et dur à une position centriste teintée d'un féminisme de bon aloi. Beaucoup ne le lui pardonnent pas. Cela dit, d'autres pensent au contraire que si Mme Clinton veut être élue, elle doit – pour des raisons tactiques – modérer son discours. Quoi qu'il en soit, si elle est élue, le simple fait que la première puissance mondiale soit dirigée par une femme sera tout à fait frappant, d'un point de vue symbolique comme pratique.
tirlipinpon77 : Pour moi, Ségolène Royal est incompétente. Pensez-vous qu'il est plus important d'élire une femme plutôt que de privilégier la compétence, l'expérience pour devenir chef d'Etat ?
L'idée que vous vous faites de la compétence d'un politique est à la fois très française et très personnelle. Nulle part ailleurs en Europe on ne considère qu'un futur chef d'Etat ou un futur Premier ministre doive être bardé de diplômes, de références et d'accréditations diplomatiques. Mme Merkel, par exemple, n'avait exercé que des fonctions mineures sous Helmut Kohl et ce, dix ans avant de devenir chancelière de la première économie européenne. On pourrait faire exactement la même remarque pour M. Zapatero, M. Balkenende ou M. Blair – sans parler de George W. Bush.
lilibuc : Est-il vraiment nécessaire, en politique, de distinguer les hommes des femmes, au lieu d'ouvrir un vrai débat sur le programme de chaque candidat ? N'est-ce pas réduire nos dirigeants politiques à leur apparence, et éluder les vraies questions ?
Les femmes représentent 50 % de la population mondiale. En parler revient à évoquer la situation de la moitié de la planète, et non le destin de quelques stars. La question est de savoir si les femmes exercent le pouvoir différemment. Dans notre dossier, certaines femmes pensent que c'est toute la politique qui s'est féminisée, et que cela finit par se traduire par l'accession de femmes au pouvoir. Les sujets qui sont au cœur des préoccupations de beaucoup de pays sont identifiés comme plutôt féminins : l'éducation, la santé, l'emploi... Bref, il est plus question de sujets de société plutôt que de savoir qui va appuyer sur le bouton nucléaire. Ces sujets, qui peuvent certes être incarnés par des hommes (au Royaume-Uni, par exemple), sont de plus en plus souvent portés par des femmes. Et certains électeurs ont l'impression que, côté mâles, on a tout essayé... Pourquoi ne pas tester une femme au pouvoir ?
Raf_1 : Peut-on vraiment dégager un mode féminin d'exercice du pouvoir ? Je n'en suis pas si sûr.
Il est difficile de répondre à votre question, tout simplement parce que nous manquons de recul et d'exemples. Les premières femmes à avoir exercé des fonctions ministérielles en France avaient ceci en commun qu'elles n'avaient en général pas d'enfants. C'était une époque où, d'un point de vue masculin, ne pouvait être ministre ou responsable que les femmes "dégagées de leurs obligations familiales". On voit bien, avec Ségolène Royal, mais aussi avec Michelle Bachelet au Chili et même Hillary Clinton que sur cette question de la "compatibilité" entre féminité et pouvoir la société et même la classe politique a évolué.
AD : Vive les femmes, mais quand seront-elles considérées comme les égales des hommes ? On ne devrait pas avoir à écrire ce type d'article ! Pensez-vous par ailleurs que la parité soit une bonne chose ?
Doit-on au nom de l'égalité entre hommes et femmes, instaurer une politique plus active de quotas ? Personnellement, j'estime effectivement nécessaire de mettre en place ce type de méthode. D'une part, le jour où des places seront réservées aux femmes à tous les niveaux, les hommes commenceront à se rendre compte du problème. D'autre part, c'est aussi un moyen clair et simple pour les femmes de faire leur entrée en politique sans devoir passer par des années d'humiliation et d'attente injustifiée et souvent décourageante.
Nathy : On voit que Mme Merkel a du mal à imposer son autorité au sein de son parti, et qu'elle aura des difficultés à s'imposer à la présidence tournante de l'Union européenne. Dans ce monde politique généralement réservé aux hommes, pensez-vous qu'une femme soit vraiment prise au sérieux ?
Je ne vois pas les choses comme vous : Angela Merkel a littéralement pulvérisé ses adversaires à la tête de la CDU et elle a même réussi à se débarrasser d'Edmund Stoiber, président du parti frère de la CDU, la CSU bavaroise. Sur le plan international, elle a réussi l'exploit de calmer Poutine sur la question énergétique en moins de quarante-huit heures. Enfin, sur l'Europe, personne ne peut objectivement rien faire d'institutionnel en Europe avant l'élection présidentielle française, qui tombera juste à la fin de la présidence allemande de l'UE.
srittner : Même si Condoleezza Rice est le contre-exemple à ne pas suivre, ne pensez-vous pas que les femmes soient moins virulentes et plus réfléchies que les hommes (dont je suis) ?
Condoleezza Rice est loin d'être un contre-exemple. Beaucoup de femmes parvenues au pouvoir jusqu'à présent sont plutôt de droite : Angela Merkel, Margaret Thatcher, Benazir Bhutto, Gloria Arroyo, Violeta Chamorro (Nicaragua). La nouveauté, c'est plutôt que des femmes de gauche y parviennent aussi : Michelle Bachelet au Chili, et peut-être demain Ségolène Royal en France ou Hillary Clinton aux Etats-Unis.
Sepp : Cela ne signifie-t-il pas que le clivage ne se fera plus entre gauche et droite mais selon une alternance femme-homme ?
Je ne le crois pas. La seule différence, c'est qu'il semble aujourd'hui naturel à presque tout le monde qu'une femme porte les valeurs de tel ou tel parti.
Louis XXVI : Pourquoi croit-on que les femmes peuvent changer la façon de faire la politique, alors que l'Histoire nous a montré que les reines étaient tout aussi autoritaires, voire despotiques, que leurs homologues masculins ?
Petit rappel historique : Isabelle la Catholique d'Espagne, Elisabeth Ire d'Angleterre, Victoria d'Angleterre, Catherine II de Russie, etc., ont souvent été décrites comme de remarquables dirigeantes – souvent bien supérieures à leurs descendants ou ascendants masculins.
Ensuite, savoir si les femmes seraient plus douces ou exerceraient le pouvoir de façon plus humaine dépend évidemment de la question politique qui se pose. Il n'y a pas de façon "douce" ou "humaine" de faire la guerre, et donc pas de différence, me semble-t-il, à la déclarer. En clair, que l'ongle du doigt qui se pose sur le bouton nucléaire soit verni ou non, il se posera de toute façon si la raison d'Etat ou les circonstances l'imposent.
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