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Femmes leaders : Questions à Yasmine Berriane,?Sociologue

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"J’ai été frappée par la grande diversité des profils que j’ai rencontrés".

La Vie éco : Treize mois de travail pour faire cette enquête, qu’est-ce qui vous a marquée, étonnée et surprise le plus ?

Les débuts ont effectivement été difficiles car je ne connaissais ni Casablanca et encore moins sa périphérie, ni le milieu des associations de quartiers que j’allais étudier. Ensuite, il a aussi fallu convaincre mes enquêtées de me faire part de leur histoire de vie. Chose pas toujours facile à faire. Mais ma rencontre avec l’équipe du Resaq (Réseau des associations du Grand Casablanca) a beaucoup facilité mon premier accès au terrain dans la mesure où ça m’a permis d’acquérir de premières connaissances sur les associations de quartiers et de rentrer en contact avec les premières dirigeantes d’associations que j’ai interviewées. Mais ce qui m’a finalement le plus marquée durant cette expérience, c’est de me rendre compte que beaucoup d’apriori que je pouvais avoir en débutant ce travail se sont avérés faux : après les premières difficultés liées au moment de la prise de contact, les personnes que j’ai rencontrées ont toutes été très coopératives et très accueillantes et je n’ai eu aucune difficulté à me déplacer et à me sentir à l’aise dans les quartiers que j’étudiais. Enfin, j’ai été frappée par la grande diversité de profils que j’ai rencontrés au fil de mes recherches et qui permettait de remettre en question nombre de stéréotypes que l’on pourrait avoir.

Des femmes dirigeantes d’associations mixtes, ce n’est pas nouveau…

Bien sûr, des femmes dirigeantes d’associations mixtes ce n’est rien de bien nouveau. D’ailleurs le rôle joué par les femmes dans les organisations militantes a toujours été très important. La différence quand il s’agit des associations de quartier objet de cette étude, c’est qu’il y a encore une dizaine d’années elles étaient presque exclusivement dirigées par des hommes. Or, aujourd’hui, on voit de plus en plus de femmes investir des positions similaires, et ce, dans des environnements où diriger une association (fréquenter des réunions mixtes, s’absenter tardivement, voyager pour assister à des conférences ou formations, etc.) n’est pas toujours vu d’un bon œil. Il me semble que l’on peut en tirer plusieurs enseignements. Le contexte est aujourd’hui certainement plus propice à l’émergence de femmes, dans la mesure où la promotion de la participation des femmes fait partie des grands objectifs des programmes de développement tels que l’INDH. Avoir des femmes dans son bureau exécutif peut par exemple augmenter les chances d’une organisation de recevoir des financements et des subventions. La valorisation officielle que connaissent les associations actuellement a aussi contribué à promouvoir une autre image de ces organisations, facilitant par là l’accès des femmes qui doivent souvent négocier leur fréquentation de l’association avec la famille. A cela il faut bien sûr ajouter les trajectoires individuelles des femmes en question caractérisées par des parcours scolaires, universitaires et/ou professionnels souvent supérieurs à l’environnement immédiat dans lequel elles vivent, ce qui en fait des acteurs qui disposent souvent de compétences très diversifiées qu’elles exploitent dans le travail des associations.

La moitié des femmes enquêtées s’est détournée des associations mixtes ... Prémices, comme vous l’avez dit, d’un mouvement féministe «parti de bas» ?

C’est effectivement un phénomène qui m’a frappée durant ce travail. Des femmes que j’avais d’abord rencontrées en tant que dirigeantes d’associations mixtes et sans revendications politiques particulières se sont peu à peu orientées vers des organisations (associations ou réseaux) exclusivement formées de femmes. Elles ont peu à peu développé un discours beaucoup plus politisé qui dépasse le cadre de leur expérience individuelle et qui identifie la discrimination des femmes et le partage inégal du pouvoir comme un problème collectif contre lequel il s’agit d’agir collectivement. Les enjeux de cette auto-ségrégation sont doubles. Il s’agit d’abord d’un ajustement qui se fait contre la domination des hommes telle qu’elle a été vécue par ces femmes dans les organisations mixtes dans lesquelles elles étaient (ou sont encore) engagées. Mais il s’agit aussi d’une stratégie qui part de l’idée que «l’entre-soi» féminin garantirait un meilleur épanouissement des femmes : elles peuvent organiser des formations adaptées à leurs besoins, organiser les réunions à des horaires compatibles avec leurs responsabilités familiales, etc. Une telle tendance n’est d’ailleurs pas particulière au cas étudié. Le phénomène de «repli sur soi» a été observé dans d’autres contextes sociaux (au Maroc comme ailleurs), la non-mixité pouvant fonctionner comme un outil militant précieux pour les mouvements de femmes.
Je pose effectivement la question s’il s’agit là des prémices d’un mouvement féministe «parti du bas». Les observations que j’ai pu faire semblent effectivement indiquer une tendance allant dans ce sens mais les limites de ce processus sont tout aussi évidentes. En effet, ces rassemblements de femmes ne sont pas imperméables aux effets de la concurrence traversant l’ensemble du milieu associatif : la question de la répartition du pouvoir et des ressources se pose tout autant entre femmes qu’entre hommes ou dans un contexte mixte. Par conséquent, ces projets peinent à aboutir.

Derrière cet engagement associatif, n’y a-t-il pas une ambition politique, sachant que 10 des 30 enquêtées se sont présentées aux élections locales de 2009 ?

Il est difficile de généraliser ici car les parcours de mes enquêtées sont très différents : alors qu’une grande partie n’a eu aucune expérience politique préalable en entrant dans la sphère associative, d’autres avaient effectivement une expérience en politique et ont opté pour le travail associatif comme alternative. J’aurai pourtant tendance à dire que c’est durant leur parcours associatif qu’une grande majorité de mes enquêtées a développé le projet d’investir la sphère politique. D’abord parce que c’est souvent par l’action associative qu’elles sont mises en contact avec la sphère politique partisane et les enjeux qui l’entourent.
Ensuite, parce que c’est par leurs activités associatives qu’elles gagnent aussi en popularité et en ressources nécessaires à l’entrée en politique. Ainsi, durant les législatives de 2007, elles n’étaient pas candidates mais plutôt des relais locaux facilitant la campagne d’autres candidats. C’est durant les élections locales de 2009 -avec l’introduction de la liste additionnelle- qu’une dizaine d’entre elles ont tenté leur chance comme candidates.
Parmi ces dernières, une seule a réussi son entrée dans le conseil d’arrondissement. Je précise ici qu’une fois dans le conseil d’arrondissement, cette dernière a été confrontée à des obstacles encore plus importants que ceux vécus dans la sphère associative. Aujourd’hui, elle a décidé de tourner le dos à la politique locale et de se consacrer exclusivement au travail de son association.


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