Burkina Faso: Etre propriétaire terrienne, un parcours du combattant

Mardi, 16 Septembre 2014 15:03
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L'accès à la terre demeure toujours une préoccupation pour la femme burkinabè. Pourtant, de plus en plus, sa contribution au développement devient indispensable. Selon le recensement général de 2006, 51,7% de la population burkinabè est constituée de femmes et plus de la moitié de celles-ci utilise la terre comme moyen de subsistance.

Majoritaires et défavorisées, elles exploitent, le plus souvent, des lopins de terre empruntés aux hommes, avec l'épée de Damoclès au-dessus de leur tête : la peur de se faire exproprier, à tout moment.

Il est 6h passées de quelques minutes; le soleil fait son apparition, annonçant ainsi un jour nouveau dans la commune rurale de Léo. A quelques kilomètres de la ville, des femmes de l'association Amaria Yidia, comme d'habitude, sont dans leur champ.

Daba à la main, elles débarrassent les semis des mauvaises herbes. « Nous avons entrepris cette activité depuis 1992. A chaque saison pluvieuse, on emprunte une portion de terre à quelqu'un et nous sommes tenues de la rendre quand il en a besoin. Parfois, cela se fait au moment où on ne s'y attend pas.

Face à cette situation, nous avons décidé d'avoir notre propre terrain », explique la porte-parole de l'association Amaria Yidia, Abibata Ido. « Nous avons compris que seule un titre foncier peut nous permettre de mener à bien notre activité.

Dès lors, nous sommes allés voir le chef de terre en 1997, en vue de nous aider à acquérir notre propre lopin de terre. Heureusement, il a exaucé notre vœu », poursuit-elle.

Par coup de chance, la portion de terre se situe dans une zone aménagée en 2004. Après l'aménagement, le groupement s'est retrouvé propriétaire terrien, le tout couronné par une Attestation de possession foncière rurale (APFR).

« Avec cette attestation, nous avons délimité un champ de groupe et chaque femme possède désormais, une parcelle pour mener ses propres activités agricoles », confie Mme Ido.

Mener cette activité permet à la femme de subvenir à ses besoins. « A chaque saison, la production peut atteindre 6 à 8 sacs de 100 kg de riz. Une partie est destinée à la consommation.

« La terre appartient toujours à l'homme »

L'autre moitié du riz est étuvé et vendu. Ce qui nous permet de payer la scolarité des enfants. Avec cet argent, des femmes ont pu s'acheter des vélos pour leur déplacement », témoigne Mme Ido.

Cet exemple montre combien les femmes en milieu rural ont du mal à s'approprier un titre foncier, car cet acte est une garantie et sécurise l'espace cultural. Et comme ces dames, bon nombre de femmes aspirent acquérir une APFR au Burkina Faso.

Mais le bout du tunnel ne semble pas pour demain, car dans beaucoup de sociétés burkinabè l'idée de la femme propriétaire terrienne est difficilement concevable.

« A titre d'exemple, dans la société moaga, la femme n'a pas droit à la terre, à plus forte raison de prétendre en être propriétaire », confesse la responsable chargée des femmes de la province de la Sissili, Ramata Tiendrébeogo.

« Je n'ai pas de champ à moi, je cultive dans le champ de mon mari avec mes enfants», confirme Mamounata Walbéogo. Par opposition à cette culture, dans la communauté gourounsi, toute personne de la famille a droit à un lopin de terre, grâce à l'héritage familial. « Dans la culture gouronsi, les femmes ont droit à la terre par le biais de l'héritage.

Ainsi, lorsque le père lègue des terres à ses enfants à sa mort, elles sont partagées sans distinction entre les filles et les garçons de la famille», confirme Josiane Yago, une habitante.

Sans justification parfois, les hommes refusent d'impliquer la femme dans les questions foncières. Et certains propos sont édifiants: « qu'est- ce qu'une femme pourrait bien faire avec un champ ? La femme est sous le couvert toujours d'un homme.

Par conséquent, elle n'a pas besoin d'être propriétaire terrienne. Donner aux femmes le droit de posséder la terre équivaut à hypothéquer une partie du patrimoine foncier du lignage. Car un jour ou l'autre, elle pourrait abandonner son foyer pour un autre.

Ainsi, la terre sécurisée appartiendrait à son nouveau époux », souligne l'animateur foncier, Abdoulaye Zizien. « La terre appartient toujours à l'homme », renchérit la responsable chargée des femmes de la province de la Sissili.

La loi 034, une solution

Faut-il continuer à dénier à la femme toute possibilité d'être propriétaire terrien ? En attendant que les mentalités changent, l'Etat burkinabè a pris les devants, en adoptant, en 2009, la loi 034 portant régime foncier rural.

Cette loi vise à assurer un accès équitable aux terres rurales pour l'ensemble des acteurs ruraux, personnes physiques et morales de droit public et privé et favoriser la gestion rationnelle.

Avec le projet de sécurisation foncière du Millennium challenge account (MCA), des séances de sensibilisation et d'information, en vue de vulgariser cette loi ont été menées dans 47 communes rurales du pays, dont celle de Sapouy.

« Notre travail a consisté à sensibiliser les hommes sur le bien-fondé qu'une femme ait un titre foncier et sur la loi 034. Je crois que le message est passé.

Par exemple, à la mairie de Sapouy, il y a des demandes qui ont été déposées par des maris, au nom de leurs femmes pour une zone-pilote. Il y a environ 40 demandes », indique l'animateur foncier.

«Grâce à ces séances, nous avons compris le bien-fondé de l'APFR pour une femme. Non seulement ce document est une garantie pour elle face aux conflits fonciers, mais l'APFR est également un bien familial », confirme Bapan Nama, producteur à Sapouy.

Le coût élevé de l'APFR, un frein aux femmes

L'APFR est un titre de propriété qui a la même valeur que le Permis urbain d'habitation (PUH). Avec ce document, la femme peut, en gage de garantie, prendre des crédits pour développer ses petites activités génératrices de revenus.

Pour le responsable du bureau domanial de la commune de Léo, Abdoulaye Tiendrebéogo, sur environ 300 demandes enregistrées à la mairie, il y a seulement deux demandes de femmes. Cela s'explique par le coût élevé des frais de dossier.

En effet, pour une APFR d'un hectare, l'intéressé doit payer 5000 F CFA pour les frais de délimitation, 300 FCFA pour l'espace sollicité, 1000 F CFA pour l'inscription, en plus des frais de timbre.

A partir de deux hectares et plus, les frais d'espace reviennent à 1000 FCFA. « Afin d'aider les femmes à supporter ces frais, un fonds de soutien sera mis en place dans les prochains jours », précise la conseillère technique de la ministre de la Promotion de la Femme et du Genre, Christine Lompo.

Le projet sécurisation foncière du MCA a pris fin en cette année 2014, avec 12887 demandes d'Attestation de possession foncière rurale (APFR) dont 276 APFR délivrées avec 11 femmes au compteur. A cet effet, des actions de pérennisation des acquis et de plaidoyer dans les communes restantes sont menées.

« Le Ministère en charge de la femme vient de mettre en place une stratégie nationale qui va consister à mener ces activités de pérennisation des acquis du MCA», soutient la conseillère technique.

Ainsi, il va s'agir donc d'étendre les actions de sensibilisation et de plaidoyer dans les communes rurales restantes afin que les hommes acceptent l'idée qu'une femme peut être propriétaire terrien.

Pour la réussite de cette action « je demande aux hommes de laisser parler leur cœur à l'endroit des femmes car, comme le dit le dicton : ‘'l'union fait la force". Une femme autonome financièrement contribue au bien-être de la famille », interpelle Abibata Ido.

Source:allafrica.com