La 68e session de l’Assemblée générale des Nations Unies s’est achevée sur un engagement renouvelé d’atteindre les objectifs de lutte contre la pauvreté et l’adoption d’un consensus en vue d’adopter de nouveaux objectifs de développement en 2015.
Par Alejandra Scampini
Les défenseur-e-s des droits des femmes, ainsi que les diverses organisations de la société civile, ont participé aux débats d’un œil critique et appelé à une transformation structurelle mettant les droits humains et la pérennité au cœur du nouveau programme de développement.
La 68e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui s’est tenue à New York du 23 au 27 septembre 2013, fut la première instance intergouvernementale internationale consacrée au programme de développement pour l’après-2015. Celle-ci avait pour but de lancer le processus officiel de négociations entre les gouvernements pour la mise au point du nouveau programme de développement, qui avait jusqu’à présent été conduit par les Nations Unies.
Cette instance a permis d’en savoir plus sur le programme de développement pour l’après-2015 et sur les liens qui existent entre l’accélération de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et la formation en cours du Groupe de travail ouvert sur les Objectifs de développement durable (ODD), qui fut le grand résultat de Rio+20, la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (CNUDD). La lettre soumise par les coprésidents du Groupe de travail ouvert a apporté une vue d’ensemble des progrès accomplis par le groupe depuis mars 2013. Le Groupe de travail ouvert est toujours en mode éducation et consultation. Cette phase touchera à sa fin en février 2014. Un rapport commencera à être élaboré en mars 2014, devant être présenté à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre de la même année. Enfin, la plus grosse partie sera présentée à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2015. Ce processus sera fondamental et centré sur la nécessité de placer l’éradication de la pauvreté au cœur de celui-ci, et sur le besoin de parvenir à une proposition en matière d’objectifs de développement durable. Ce groupe a devant lui une tâche difficile : réfléchir à des objectifs répondant à tous les buts recherchés et en partant de zéro[i].
Deux évènements ont occupé le devant de la scène, à savoir la réunion du Forum politique de haut niveau (FPHN) sur le développement durable[ii] et l’Évènement spécial Atteindre les OMD. L’AWID a travaillé conjointement avec la Coalition des femmes pour l’après 2015(Post 2015 Women’s Coalition, WC) et le Groupe majeur femmes (Women’s Major Group, WMG) afin de profiter au mieux de ces espaces pour partager des analyses, des évaluations et des propositions féministes relatives au développement durable avec les agences des Nations Unies, les gouvernements, les donateurs, la société civile et d’autres parties prenantes pertinentes. L’AWID, dans le cadre de son travail auprès de la Coalition des femmes pour l’après 2015 et du Groupe majeur femmes, a insisté sur le fait que le nouveau programme de développement devrait se baser sur les principes fondamentaux des droits humains.
La participation de la société civile
Les activistes des droits des femmes et des droits humains ont eu l’occasion de se réunir, d’élaborer des stratégies et de faire entendre les voix des peuples. La Campagne pour les objectifs des peuples, Le Forum Asie-Pacifique sur les femmes, le droit et le développement (APWLD), le Centre pour le leadership mondial des femmes (CWGL), l’IBON et l’AWID ont organisé une Assemblée générale des peuples qui s’est tenue dans un parc public le 21 septembre. L’assemblée a attiré l’attention sur l’appel lancé en faveur des droits humains et du développement juste, et reflété les vues des activistes de base, y compris des féministes, des travailleurs-euses de l’industrie du vêtement et des syndicalistes des pays du Sud.
Le Groupe majeur femmes et Friedrich Ebert Stiftung (FES) ont organisé un évènement intitulé "Strengthening Gender Justice And Human Rights To Achieve Sustainable Development" (Renforcer la justice de genre et les droits humains pour parvenir au développement durable) réunissant des activistes des droits des femmes du monde entier afin d’échanger leurs perspectives et recommandations relatives à un programme de développement pour l’après-2015. Les intervenants, pour la plupart des pays du Sud, ont échangé des analyses et des recommandations clés relatives au Programme de développement pour l’après-2015. La société civile, les fondations et les organisations philanthropiques se sont également réunies durant la semaine de réalisation de l’Assemblée générale autour d’un évènement parallèle[iii]afin de débattre sur la responsabilisation et l’innovation, et sur la manière dont les organisations peuvent travailler ensemble pour susciter un impact plus important. Cet évènement a permis à la société civile de communiquer certaines de ses préoccupations relatives à la communauté des donateurs. Une réunion stratégique a été organisée par le Groupe de travail féministe (Feminist Task Force) et la Communauté internationale Baha’i, avec la collaboration de la Coalition des femmes pour l’après 2015, ayant pour but de faire le point sur l’Assemblée générale. Des représentants du Service de liaison des Nations Unies avec les organisations non gouvernementales (ONU-SLNG) et d’ONU Femmes ont participé à cette réunion, qui fut une instance décisive pour que les gouvernements se retrouvent et puissent écouter la société civile.
Beaucoup de rhétorique, mais peu d’actions concrètes
S’il est vrai que les groupes de femmes ont saisi toutes les opportunités qui se sont présentées pour faire connaître leurs revendications et exprimer leurs critiques[iv], il n’en demeure pas moins qu’il reste encore beaucoup à faire en vue d’aborder les aspects structurels et systémiques qui seront à la base d’un cadre de développement inclusif, transformateur et durable. Les débats continuent de se focaliser sur la croissance économique et sur une mesure du progrès faite à partir d’instruments inadéquats, et concernent essentiellement les gouvernements et le secteur privé. La société civile est confrontée à de sérieux obstacles pour participer aux débats officiels. En effet, il n’existe aucun mécanisme clair et transparent permettant d’assurer à la société civile une participation et des interventions significatives.
On a constaté beaucoup de rhétorique relative à la promotion d’un programme transformateur lors des consultations qui se sont déroulées durant l’Assemblée générale, y compris en ce qui concerne la place fondamentale que devrait occuper l’égalité des genres dans le nouveau programme de développement. Toutefois, une analyse plus approfondie des interventions des gouvernements dans le document final de l’Évènement spécial sur la réalisation des OMD, indique que les références à une transformation et au genre constituent des propos de pure forme, assortis de très peu de stratégies de mise en œuvre.
Les réactions des groupes des droits des femmes
Le document final reflète le désir de certains gouvernements d’avancer sur la base des OMD et permet d’établir une cartographie de l’appui des gouvernements aux revendications des organisations de la société civile. Cependant, les défenseur-e-s et les organisations des droits des femmes, y compris l’AWID et les membres du Groupe majeur femmes, attirent l’attention sur six grands sujets de préoccupation :
Le document final ne reflète pas un engagement ferme vis-à-vis des droits humains des femmes et n’établit pas un objectif indépendant d’égalité des genres, pas plus que le fait que l’égalité des genres puisse constituer une question transversale dans le programme de développement pour l’après-2015.
Ce document se contente d’allusions « en passant » à l’application d’un cadre des droits humains dans le nouveau programme de développement et manque totalement d’ambition. Un nouveau cadre du développement mondial devra être basé sur les droits, suivre une approche holistique et être inclusif, juste, équitable, soucieux de l’égalité des genres, axé sur les personnes et universel.
Il est nécessaire d’articuler davantage et de manière plus cohérente l’accélération de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), l’évolution des Objectifs de développement durable (ODD) et d’autres processus multilatéraux qui se tiendront prochainement, tels que la Conférence internationale sur le financement du développement, les sessions spéciales consacrées à des domaines prioritaires de l’Assemblée générale des peuples, le Comité intergouvernemental d’experts sur une stratégie de financement du développement durable, le G8 et le G20, etc.
L’absence de mécanismes concrets et de ressources pour la mise en œuvre, tant pour l’accélération de la réalisation des OMD que pour les processus liés au programme de développement pour l’après-2015 et aux ODD, demeure un sujet de préoccupation majeur.
Il est important de ne pas relâcher la pression exercée en vue de parvenir à des processus intergouvernementaux significatifs, inclusifs et transparents, tenant compte de la société civile et des mouvements féministes à tous les niveaux.
Un dernier effort est requis de manière urgente afin d’atteindre les OMD, notamment les objectifs Nº3 et Nº5 liés à l’égalité des genres, aux droits sexuels et reproductifs, et aux droits humains des femmes.
Les points d’entrée dont disposent les défenseur-e-s des droits des femmes pour influencer ce programme
Les groupes de femmes ont constaté que les défenseur-e-s et les organisations des droits des femmes ont une place très réduite dans ce type de forum et rencontrent d’immenses difficultés pour parvenir à « s’y glisser ». Les activistes des droits des femmes doivent gagner en visibilité dans les différentes procédures de négociation qui se déroulent à l’intérieur des Nations Unies. Il est important de poursuivre le plaidoyer auprès d’ONU Femmes et du Service de liaison des Nations Unies avec les organisations non gouvernementales (ONU-SLNG), tout en œuvrant auprès d’autres agences des Nations Unies. Il est également fondamental pour les groupes de femmes de mettre au point des stratégies visant à renforcer leur capacité politique d’influencer ces processus au-delà du suivi de ce qui se passe aux Nations Unies.
Le Comité intergouvernemental d’experts sur une stratégie de financement du développement durable est l’une des instances décisives qui commence à prendre forme, lors de laquelle les questions liées au financement aux fins du développement seront abordées. La première session de ce comité s’est tenue à la fin du mois d’août 2013 et la seconde session doit se tenir en décembre 2013. Toutefois, il s’agit jusqu’à présent d’un petit comité très fermé pour la plupart des gouvernements, qui compte seulement 30 membres, et il n’existe aucun mécanisme pour le moment permettant la participation des organisations de la société civile. Cette situation soulève des questions quant aux mécanismes de responsabilisation en place pour assurer la réalisation des engagements pris à Rio+20.
Le Groupe de travail ouvert sur les Objectifs de développement durable constitue un autre point d’entrée pour le plaidoyer, et tiendra des sessions en novembre et en décembre.
Les débats et les négociations concernant le programme de développement pour l’après-2015 se dérouleront jusqu’à la prochaine Assemblée générale des Nations Unies, qui se tiendra en septembre 2014. Toutefois, la manière dont s’imbriquent les différents processus, à savoir le Forum politique de haut niveau (FPHN), les Objectifs de développement durable (ODD) et l’après OMD, doit être précisée. Le FPHN se réunira à nouveau en décembre et les débats relatifs à l’après-2015 rentreront dans une seconde phase de consultations aux échelons régional et national.
Pour les groupes des droits des femmes et féministes, ces processus doivent également être associés à la commémoration du 20e anniversaire de conférences décisives des Nations Unies qui ont permis d’affirmer et de promouvoir les droits des femmes, telles que les Conférences de Vienne, du Caire et de Beijing, et au suivi de la Conférence sur le financement du développement. Il sera essentiel de comprendre la manière dont ces évènements s’imbriquent, plutôt que d’y voir une relation de concurrence, ainsi que de planifier un plaidoyer efficace et ciblé, tout en assurant une participation significative des femmes aux processus de prise de décisions.
Un regard tourné vers l’avenir
Il est fondamental que le cadre de développement pour l’après-2015 soit en mesure de lancer des passerelles entre un programme environnemental et un programme de développement, en mettant les droits humains au cœur des objectifs de développement.
De nombreuses conférences d’examen cruciales doivent se tenir dans les mois à venir, il est donc important de ne pas relâcher nos efforts afin que tous ces programmes restent étroitement liés et donnent lieu au cadre de développement pour l’après-2015. La conférence d’examen de Beijing +20 sera décisive pour les activistes des droits des femmes, qui pourront exiger une plus grande mise en œuvre aux échelons national, régional et mondial, ainsi que la prise en compte des engagements inachevés de Beijing dans le programme pour l’après-2015.
Il convient d’établir une cartographie des États membres et des blocs régionaux pouvant constituer des alliés potentiels en ce qui concerne les revendications des femmes, ce qui implique de s’adresser à de nouveaux groupes et acteurs qui évoluent au cœur des processus de prise de décisions. Il est également essentiel de poursuivre la recherche d’autres moyens de plaidoyer et de participation, favorisant une utilisation plus efficace des médias et permettant de faire entendre les voix des activistes de base, qui demeurent majoritairement exclues des processus de négociation.
[i]http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/67/941&referer=/english/&Lang=F
[ii] Ce groupe a remplacé l’ancienne Commission du développement durable.
[iii] Organisé par la Fondation Ford, le Centre européen des fondations, la Fondation Rockefeller, le PNUD, WINGS et le réseau netFWD de l’OCDE.
[iv] Voir, par exemple, l’analyse approfondie préparée par l’AWID du rapport du Groupe de haut niveau et notre réponse au rapport du Secrétaire général des Nations Unies. Voir également le rapport préparé par l’ONU-SLNG suite à la consultation régionale réalisée auprès de la société civile. Le rapport et les discussions ayant suivi ont été considérés déterminants par de nombreux délégués et constituent une ressource de plaidoyer essentielle pour que les organisations de la société civile continuent d’avancer.
Source : AWID
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