Le 30 mai 2013, le Panel de haut niveau des personnalités chargé du programme de développement pour l’après-2015 a publié son rapport.
Un nouveau partenariat mondial : éradiquer la pauvreté et transformer les économies grâce au développement durable présente 12 objectifs représentatifs et 52 cibles visant à « mettre fin à l’extrême pauvreté sous toutes ses formes » et à garantir « chacun d’entre nous, indépendamment de l’origine ethnique, du sexe, de la situation géographique, du handicap, de la race ou d’autres critères, bénéficie des droits fondamentaux de l’Homme et des opportunités économiques les plus élémentaires » et à éradiquer « la faim et à s'assurer que chaque personne accède au bien-être élémentaire ».
Nous saluons les efforts faits par le Panel de haut niveau pour mettre au jour les liens qui existent entre la dimension sociale, économique et environnementale du développement durable et sommes favorables à l’inclusion dans le rapport des points suivants :
- Un objectif séparé visant à « Autonomiser les filles et les femmes et parvenir à l’égalité des sexes », assorti de cibles pertinentes pour éliminer la violence, mettre fin aux mariages d’enfants, accorder aux femmes les mêmes droits que les hommes en matière d’acquisition et d’héritage de biens, éliminer les discriminations dans la sphère politique, économique et publique ;
- Une cible spécifique sur la santé et les droits sexuels et reproductifs dans le cadre de l’objectif « Assurer les conditions d’une vie en bonne santé » et
- Un objectif spécifique portant sur la mortalité maternelle dans le cadre de l’objectif « Assurer les conditions d’une vie en bonne santé ».
Néanmoins, si le rapport reconnaît la nécessité de voir intervenir une transformation économique en profondeur, il présente les défauts suivants :
- Il n’offre pas éléments transformateurs nécessaires pour mettre en place un nouveau programme de développement humain durable ;
- Il ne propose pas une approche transformatrice pour lutter contre les inégalités croissantes entre les hommes et les femmes au sein des différents pays et entre les différents pays et contre les causes de la pauvreté ainsi que sa féminisation et son hérédité croissantes ;
- Il n’interroge pas le modèle macro-économique actuel, qui perpétue la pauvreté et les inégalités ;
- Il ne tient pas compte des personnes victimes de discriminations en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre ;
- Il n’implique pas les différents mécanismes de responsabilisation en matière de droits humains qui existent à l’échelle régionale et mondiale dans sa partie sur la responsabilité;
- Il ne présente pas les ressources financières limitées comme un frein important au progrès du développement durable, des droits des femmes et de l’égalité des genres.
En outre, le rapport ne comporte pas de cible visant à réduire le phénomène croissant de répartition inégale des richesses, dont il fait la responsabilité des États. Ce faisant, le rapport ignore le fossé qui peut exister entre les différents pays en ce qui concerne la répartition des richesses. Il ne reconnaît en aucun cas, même dans sa partie narrative, les nombreuses études démontrant que les politiques néolibérales axées sur la croissance économique, la privatisation, la dérégulation et les réductions des dépenses publiques ont renforcé les inégalités et alimenté les violations des droits humains, notamment à l’égard des femmes.
Nous saluons la tentative que fait le rapport de faire des jeunes et des adolescent-e-s un thème transversal en soulignant le rôle de l'éducation (même s’il ne dit mot des débats au sujet de la transition vers une éducation secondaire et de qualité), de l’accès aux soins de santé (sans oublier les droits et la santé sexuels et reproductifs) et de la création d'emplois. Cependant, le rapport a choisi une démarche instrumentaliste plutôt que celle des droits humains pour aborder ces thèmes. Tout programme axé sur le développement durable doit voir dans les jeunes bien plus que de simples bénéficiaires de services ou employés potentiels et reconnaître quel rôle les jeunes, et plus particulièrement les jeunes femmes, ont à jouer dans les mutations politiques et sociales. Le rapport passe sous silence des aspects essentiels de la santé et des droits des jeunes et des adolescent-e-s, notamment l’importance de l’accès à une éducation sexuelle intégrée et à l’avortement, l’impact du VIH et du SIDA sur les jeunes et la question de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre.
Le rapport souligne à maintes reprises l’intérêt économique de la promotion des droits humains et du développement durable au lieu de s’attarder sur la valeur intrinsèque que la jouissance des droits pour les populations. En outre, il s’intéresse essentiellement aux droits civiques et politiques et ne fait pas des droits économiques et sociaux le cadre éthique nécessaire pour élaborer une politique économique mondiale. De fait, il nous présente une orientation dangereuse, dans la mesure où il justifie la suprématie des droits des multinationales et des entreprises sur les populations et la planète, sur les droits humains et les biens publics mondiaux.
De plus, s’il brosse certes un tableau des personnes en situation de pauvreté vivant dans des pays en développement, il tait la responsabilité de toutes celles qui monopolisent les richesses, les ressources et le pouvoir. Il faut plus de nourriture, de fonds et de croissance, le rapport le souligne. En revanche, il n’évoque ni la nécessité de veiller à la redistribution de ces mêmes ressources ou richesses, ni les distorsions qui découlent des politiques économiques en faveur des transnationales. De fait, il élève même le secteur privé au rang d’acteur majeur du développement durable, ne mentionnant que brièvement l’importance des normes sociales et environnementales et en attribuant aux entreprises le simple rôle d’adopter des bonnes pratiques et de payer des impôts équitables. En outre, il ne traite nullement des conflits de plus en plus intenses qui opposent quotidiennement les entreprises et les défenseur-e-s des droits humains.
Nous saluons la volonté du Panel de haut niveau d’aller plus loin que ne l’avaient fait les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) dans la lutte contre les situations de conflit et de violence. Tout comme l’affirme le rapport, nous considérons que la paix et la bonne gouvernance ne sont pas des sous-produits, mais des fondamentaux du bien-être et qu’un programme réellement « transformatif » s’impose pour sortir du statu quo. Cependant, cela ne sera pas suffisant pour que le développement soit durable au lieu d'être dégénératif. Il est absolument essentiel de reconnaître qu’il ne peut y avoir développement sans désarmement et sans une participation entière et égale de la population féminine. Si nous voulons mettre fin à la violence inhérente aux structures sociales, culturelles et politiques à l’échelle à la fois locale et internationale, nous devons adopter une approche intégrée qui renforce la vision de la paix et de la sécurité pour tous comme un système global.
Nouveau partenariat mondial
Le Panel propose que le nouveau partenariat mondial chargé de travailler sur l’éradication de la pauvreté et de transformer les économies grâce au développement durable comprenne les « gouvernements », « le milieu des affaires » et les « institutions multilatérales ». Si d’autres groupes, comme la société civile, sont mentionnés, ils ne sont pas mis en exergue, car le rapport dans son n’ensemble ne s’y attarde pas. De fait, il adopte et s’emploie à développer le projet néolibéral à tel point que bon nombre des propositions avancées, y compris l’objectif portant sur l’égalité des genres, peuvent être interprétées comme de simples outils à intégrer au marché. Le rapport ferme ainsi non seulement les yeux sur les effets négatifs du néolibéralisme sur le développement durable, mais va systématiquement à l’encontre du cadre international de protection des droits humains. Un véritable nouveau partenariat mondial donnerait la priorité aux plus marginalisés, à savoir les femmes du Grand Sud, et assurerait des processus réellement démocratiques, un processus décisionnel transparent et une responsabilisation des parties prenantes.
Contexte et analyse des tendances
Le rapport du Panel de haut niveau représente une référence en ce qui concerne le programme de développement durable de l’après-2015 et est susceptible d’influencer l’élaboration des politiques jusqu’en 2030. Il convient donc de se poser la question suivante : le rapport prend-il suffisamment en compte les tendances et défis mondiaux qui se poseront d’ici 2030 ? De fait, ce qui frappe dans le rapport, c'est son mutisme quant au contexte et l’absence d’analyse des tendances. Pour pouvoir fixer des objectifs et des cibles, il serait utile de proposer une analyse contextuelle de l'économie mondiale en s'appuyant sur les effets qu’ont eus la crise financière et les mesures d'austérité qui ont suivi sur les inégalités. Le rapport mentionne par exemple les programmes de protection sociale sans faire valoir leur nécessité en temps de crise économique. En outre, il ne dit mot du besoin de mettre en place des politiques économiques anticycliques pour garantir au moins le respect des droits humains fondamentaux.
Dans le contexte de la gouvernance mondiale, l’essor des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et l’influence croissante du G-20 soulignent la montée en puissance cumulée de ces pays sur la scène internationale. Néanmoins, la majorité des personnes pauvres vivent désormais dans un pays à revenus moyens, comme dans les BRICS. Ils ont la possibilité de reconstruire des récits économiques et d’influencer les efforts faits pour « créer un environnement mondial favorable et encourager les financements à long terme » (Objectif 12), notamment au travers d’une banque de développement appuyée par les BRICS. Tout cela représente des opportunités et des défis pour le financement du développement durable.
On estime que d’ici 2030, environ 60 % de la population mondiale vivra dans un centre urbain. Le phénomène d’urbanisation prend de l’ampleur dans les pays en développement, où les centres urbains sont considérés comme la source principale de la croissance économique. Cette urbanisation croissante s’accompagnera d’une augmentation des flux migratoires et, dans beaucoup de pays, les femmes continueront de représenter une large partie des populations immigrées à la recherche d’une vie meilleure pour elles-mêmes et leur famille. En conjonction avec le problème du réchauffement climatique, l’urbanisation croissante rendra plus difficiles l'éradication de la pauvreté, la généralisation de l’égalité des genres et l’accès à l’eau, à la nourriture, à l’énergie et au logement. Il est impératif que ces réalités et tendances entrent en compte dans le programme de développement durable pour l’après-2015.
La responsabilité
Comme le nouveau partenariat mondial est appelé à réunir diverses parties prenantes, le rapport souligne la nécessité d’une « responsabilité mutuelle », soulignant que « toute personne impliquée doit être entièrement responsable ». Comment est-ce possible si, « tout comme les OMD, elles ne seraient pas contraignantes » ? Le rapport note qu’il est demandé à chaque pays de décider ce qu’il souhaite mettre en place sur la base du volontariat. Il fait du secteur privé le moteur du développement, tout en se référant à des systèmes déficients d’autorégulation qui ont prouvé leur incapacité à garantir que le secteur privé soit responsable au regard de ses violations environnementales et des droits humains. Le rapport souligne en outre que la responsabilité doit être assumée à l’échelon approprié, à savoir par les gouvernements envers leurs citoyens, les autorités locales envers leurs communautés, les entreprises envers leurs actionnaires, la société civile envers les groupes qu’elle représente. Ceci contredit et sape son exhortation à instaurer une « responsabilité mutuelle ».
Dans ce scénario multipolaire, il faudrait que les gouvernements et les Nations Unies reconnaissent honnêtement quelles sont les limites fixées pour tenir les entreprises responsables de toute violation (accaparement des terres, exploitation des travailleurs, corruption, entre autres). D’un point de vue général, nous nous inquiétons de voir les nombreuses références faites au rôle fondamental que le secteur privé, élevé au rang de moteur du développement, aura à jouer pour l’après-2015, d’autant plus que le rapport n'évoque à aucun moment que des mesures adéquates sont en place pour garantir que la protection et la promotion des droits humains passera avant les intérêts du secteur privé et qu’il ne propose aucun moyen de contrôle et de réglementation concret du secteur privé.
Les objectifs
Disposer d’un cadre clair qui soit à la fois spécifique, mesurable, daté et réalisable représente une excellente stratégie pour encourager l’action et mobiliser des ressources, nous en sommes convaincus. Nous saluons également la proposition faite d’assortir les objectifs mondiaux de cibles nationales, car ceci encourage les différents pays à faire leur la cause en question, ce qui, à son tour, améliore les chances de succès. Cependant, nous souhaiterions voir élaborer un mécanisme qui garantirait que les cibles nationales sont suffisamment ambitieuses et vérifierait par là même que les pays ont réellement passé à l’action.
Nous n’appuyons pas la possibilité qu’ont les pays de faire leur choix parmi un « menu » de cibles possibles en raison du risque de voir les domaines délicats ou impopulaires abandonnés sur le bas-côté. En outre, cette proposition réduit la mise en place de travaux concertés à l’échelle internationale dans la lutte contre certains problèmes. Les gouvernements doivent tous faire preuve d’un niveau raisonnable d’efforts dans leur travail sur tous les cibles et indicateurs, même s’ils disposent d’une marge de manœuvre pour évaluer le rythme de leur propre progrès au fil du temps. C’est particulièrement important en ce qui concerne la santé et les droits sexuels et reproductifs.
Les objectifs passent à côté de liens essentiels, notamment en matière de droits des femmes et d’égalité des genres. Si le réchauffement climatique, par exemple, est présenté comme une cause transversale, le rapport n’établit aucun lien entre le réchauffement climatique, les femmes et les cibles représentatives censées lutter contre certains aspects du réchauffement climatique. De même, les cibles portant sur l’énergie, l’agriculture, le transport, la déforestation et la sécurité alimentaire doivent expliciter les liens qui existent entre elles, notamment au regard de l’accès des femmes aux ressources naturelles et de leur pouvoir de contrôle sur celles-ci, de leur rôle vis-à-vis des solutions d’énergie durables et de mise en valeur du potentiel, sans quoi ces cibles seront balayées sous le tapis. Enfin, le renforcement du pouvoir des femmes et la garantie de sociétés stables et pacifiques ont tous deux le statut d'objectif, mais ne sont pas assortis d'indicateur reliant ces deux thèmes, tels que l'inclusion des femmes et des organisations de femmes dans les pourparlers de paix.
Objectif no 1 : Mettre fin à la pauvreté
Le rapport se base sur le seuil de pauvreté, pourtant discrédité, fixé par la Banque mondiale, qui est de 1,25 USD par jour. Or ce chiffre ne correspond en rien à un prétendu seul de pauvreté, mais à un seuil de famine. En effet, celui-ci mesure bien plus la part de la population susceptible de mourir sous peu de malnutrition, de précarité, etc., que le seuil à partir duquel on peut vivre dans la dignité, ce qui est pourtant ce que l’éradication de la pauvreté devrait indiquer. Il est clair que certains pays peuvent fixer leur propre seuil de pauvreté, plus élevé. Cependant, le Groupe a manqué de courage ou d’ambition en ne fixant pas un seuil de pauvreté mondial plus élevé et plus général.
Si le rapport reconnaît l’importance de la terre pour le développement, il s’est essentiellement concentré sur la propriété foncière et sur le potentiel commercial de la terre plutôt que sur le fait que la privation de terre est le facteur de pauvreté le plus répandu. Le rapport suggère d’augmenter de « x % le nombre […] d’entreprises ayant une garantie de droit d’accès à un terrain, une propriété et d’autres biens ». L’utilisation du mot « entreprises » peut facilement être détournée pour ouvrir la porte à l’accaparement des terres et aux expulsions. En outre, le rapport ne fait aune distinction lorsqu’il évoque le « milieu des affaires », alors qu’il est ô combien critique de bien faire la distinction entre les petites, moyennes et grandes entités du secteur privé, étant donné qu'elles ne sont ni perçues ni traitées de la même manière. Le rapport part du principe que la terre est toujours utilisée à des fins néolibérales, alors que cela ne correspond ni à l’expérience, ni aux objectifs de la plupart des petits propriétaires fonciers. Il serait donc utile de mesurer la répartition des terres et des ressources et s’employer à une répartition plus équitable parmi les personnes plutôt que les entreprises.
Objectif no 2 : Autonomiser les filles et les femmes et parvenir à l’égalité des sexes
L’égalité des genres représente un aspect fondamental du développement durable. Avant d’y être parvenus, nous ne pourrons progresser dans le programme de l’après-2015. Bien que nous saluions cet objectif, nous espérons que davantage de travail pourra être fait pour le rendre plus pertinent. Autonomiser les filles et les femmes et parvenir à l’égalité des sexes (Objectif no 2) est une tâche irréalisable si on la sépare de l’éradication de la pauvreté. Cependant, l’Objectif no 1, tel qu’il est formulé à l’heure actuelle, met sur un plan d’égalité le droit d’accéder à la propriété de terres des entreprises et celui des femmes et des communautés. Le rapport ignore par là même la pratique actuelle de l’accaparement des terres, les dégradations de l’environnement et les déplacements de populations qui surviennent lorsque des entreprises ont le droit de posséder et de contrôler des terres.
Le Panel de haut niveau a raison de souligner la cible que constituent la prévention et l’élimination de toutes les formes de violence à l’égard des filles et des femmes. Toutefois, il conviendrait de thématiser les liens entre la violence basée sur le genre d’une part et l’impunité, la militarisation, le budget militaire et le nombre d’armes de petit calibre d’autre part si l’on veut faire de véritables progrès. Les mariages d’enfants ne constituent un indicateur utile que si le concept est explicitement utilisé au sens défini par la Convention internationale des droits de l'enfant.
Objectif no 4 : Assurer les conditions d’une vie en bonne santé
Par cet objectif, le rapport reconnaît que la santé et les droits sexuels et reproductifs sont essentiels à la bonne santé des personnes tout comme à celle des sociétés. Toutefois, nous nous inquiétons de ne pas voir la cible proposée définie plus clairement. Si nous saluons la remarque dans la partie narrative sur la santé que les discriminations peuvent entraver l’accès aux services de santé pour les groupes vulnérables, le rapport est déficient dans la mesure où il n'examine pas plus précisément comment soutenir les populations clé marginalisées et comment leur offrir des services non-stigmatisants.
Objectif no 7 : Garantir une énergie durable
Nous saluons la cible d'éliminer les subventions accordées aux énergies fossiles. Néanmoins, celui-ci est trop vague et n’imposera pas de mutations. Il devrait au moins couvrir l’élimination des subventions accordées aux industries de production d'énergies fossiles et aux multinationales émettrices de carbone.
Objectif no 8 : Créer des emplois, des moyens d’existence durables et une croissance équitable
Le rapport reconnaît l’importance de l’emploi pour le développement durable, tout en réduisant le travail à sa valeur pour la croissance économique et la consommation. Ce principe sape la lutte pour un travail décent en créant une catégorie limitée d’« emplois de qualité » pour les pays en développement, laissant par là même entendre que les pays en développement sont prêts à embrasser la cause du travail décent dans son ensemble. Il note que le concept de travail décent, soit un travail qui reconnaît et respecte les droits des travailleurs, veille à offrir une protection sociale adéquate et garantit le dialogue social, va peut-être trop loin pour certains pays en voie de développement, à qui il propose d’adopter un « juste milieu ». Le Panel de haut niveau essaierait-il de suggérer que certains travailleurs/euses ne méritent pas que s’appliquent à eux les droits décidés à l'échelle internationale à cause de leur seule origine géographique ?
Il suggère également qu’un emploi de qualité se caractérise par « la sécurité de l’emploi et un salaire équitable », mais n’indique en rien ce qui constituerait un salaire équitable. Peut-être moins de 1,25 USD par jour ? En outre, la flexibilité du marché du travail est, selon le rapport, nécessaire pour stimuler la croissance, ce qui contredit la notion même de sécurité de l’emploi. Ce sont les femmes qui souffrent généralement le plus de la « flexibilité » du marché du travail et de l’érosion du droit du travail, et ce, en partie à cause de la répartition traditionnelle des tâches entre les genres au sein du foyer. Dans ce contexte, il convient également d’examiner la question du travail non rémunéré et de reconnaître, de réduire et de redistribuer la part de travail non rémunéré.
Selon le rapport, un esprit d’entreprise ne peut émerger que dans un environnement commercial favorable, mais il ignore l’expérience de petites entreprises gérées par des femmes, bien souvent incapables de concurrencer les multinationales étrangères, qui elles, sont incitées à investir, notamment par le biais d’exonérations d’impôts. Pour créer des emplois, on pourrait par exemple réorienter les subventions vers les micro-entreprises, petites entreprises et coopératives locales plutôt que d’en faire bénéficier les multinationales.
Dans le cadre de cet objectif, une cible visant à « optimiser la capacité productive en assurant un accès universel aux services financiers », ce qui nous amène à nous demander : pourquoi se focaliser là-dessus ? Pourquoi ne pas investir dans les activités de production susceptibles de créer des emplois ou bien des programmes de développement de compétences sensibles à la question du genre et adaptés au contexte en question ou encore des programmes de protection sociale, étant donné que tous créent des emplois de qualité, offrent des moyens de subsistance et sont facteurs d’une croissance plus équitable ?
Objectif no 10 : Assurer une bonne gouvernance et un cadre institutionnel efficace
Dans le cadre de cet objectif, le terme « institutions » est défini comme les règles, lois et entités gouvernements, mais également les règles informelles qui gouvernent l’interaction sociale. Étant donné que les « entreprises » figurent en si bonne place tout au long du rapport, il est étonnant de ne pas les retrouver dans cette section sur cet objectif. Les entreprises jouissent d’un véritable traitement de faveur. À terme, nous souhaitons voir mis en place un cadre réglementaire international par les gouvernements pour protéger les populations de l’avarice du monde des affaires si le but ultime est d’assurer un développement durable, et tout particulièrement étant donné que le secteur privé est motivé uniquement par la recherche du profit. Toute obligation extraterritoriale, telle que détaillée dans les Principes de Maastricht, doit servir de base pour faciliter la bonne gouvernance dans le contexte du nouveau partenariat mondial décrit dans le rapport.
Nous saluons l’importance accordée à la participation et à l’écoute de la société civile, même si ce point mérite d’être affiné et que la prise de décision devrait être incluse dans le concept de participation.
Objectif no 11 : Garantir des sociétés stables et pacifiques
Les violations des droits humains et l’injustice sont source d’instabilité, de conflit et de guerre, c’est indéniable. Il est essentiel de prendre des mesures pour pouvoir garantir que les populations, et les femmes notamment, puissent vivre à l’abri de la peur et du besoin afin d’assurer la stabilité et la paix au sein des sociétés. Il est capital que les gouvernements investissent pour la paix et prévoient un budget à cet effet au lieu de poursuivre la militarisation. L’idéal serait de fixer une cible portant sur la réduction du budget militaire et l'augmentation des dépenses sociales. Là encore, le rapport se concentre sur les symptômes au lieu d’en chercher les causes.
Plus particulièrement, nous préconisons d’une part que le lien entre les inégalités fondées sur le genre et la militarisation soit reconnu et thématisé et d’autre part que le travail de promotion du développement durable soit basé sur une vision holistique des femmes, de la paix et de la sécurité en tant que causes, avec un volet sur la participation, la prévention, la protection et le secours et le relèvement, le tout assorti d'objectifs et d'indicateurs. Il importe de reconnaître que les armes nucléaires et le réchauffement climatique représentent une menace sans précédent pour l’humanité, que les armes, mêmes les armes légères et de petit calibre, encouragent la dégradation de l’environnement, réduisent la capacité des États à investir dans l’égalité sociale et le développement durable et alimentent les violences basées sur le genre, notamment à l’égard des défenseures des droits des femmes, que les effets du militarisme, des dépenses militaires et le commerce des armes affaiblissent l'égalité des genres et les droits de la femme et, enfin, qu’une prévention des conflits au travers de la participation entière et égale et du leadership des femmes (et non une simple « révolution de la transparence ») sera nécessaire pour atteindre les objectifs de développement, de paix et de sécurité.
Objectif no 12 : Créer un environnement mondial favorable et encourager les financements à long terme
Si le rapport comporte une cible limitant l'élévation de la température au-dessous de 2°C, il n’en présente aucun sur la réduction des émissions de CO2. Pas un mot non plus sur le rôle et la responsabilité des grands émetteurs historiques au regard du réchauffement climatique et de ses répercussions inéquitables (en termes de géographie, de genre, d’économie, etc.), qui sont pourtant le symptôme visible d’un retour en arrière vis-à-vis des progrès développementaux. Pour bénéficier d’un environnement favorable, il faudra reconnaître honnêtement les responsabilités communes, mais différenciées dans la lutte contre les conséquences du réchauffement climatique, l’atténuation des causes et la création des conditions nécessaires à un développement durable sur le long terme.
D’un point de vue général, il manque à l’objectif de financement le sentiment d’urgence et l’ambition qui à l’époque avaient permis de réunir les milliers de milliards de dollars nécessaires pour renflouer les banques en un temps record. Cet objectif ignore les critiques vigoureuses exprimées à l’égard des systèmes financiers internationaux et la nécessité de les réformer. La crise de 2008, ainsi que toutes celles qui l'ont précédée, notamment la chute de Long Term Capital Management en 1998, sont la preuve même de la nécessité de réformer le système de régulation de la finance pour donner la priorité aux populations et non plus au capital, d'élaborer des politiques de fixer des objectifs qui prennent en compte que les femmes et les hommes vivent des réalités différentes et sont touchés différemment par les crises économiques. Les gouvernements ont l’obligation de réguler efficacement les institutions et les marchés financiers pour prévenir les crises économiques.
Nous saluons l’effort qui a été de définir des cibles claires en matière de financements pour pouvoir atteindre ces objectifs, mais restons persuadés que le rapport aurait dû se pencher sur les conditions d'attribution des financements qui en maximiseraient l’impact. Les recherches faites ces dernières années prêtent à croire que pour financer efficacement la lutte pour l'égalité des genres, les fonds doivent servir à soutenir des partenariats à plus long terme qui soient à la fois réguliers et flexibles et offrir un soutien pluriannuel plutôt que d’être attribués à des projets fragmentés et à court terme.
En outre, le rapport ne souligne pas la nécessité de garantir des ressources pour les très divers acteurs impliqués dans ce combat, à savoir entre autres la société civile, et, en son sein, les mouvements et organisations de femmes, qui sont parmi les parties prenantes à fournir le travail le plus efficace et innovant dans ce domaine et qui défendent les progrès réalisés, luttent pour de nouvelles politiques et des changements de comportement, offrent des services essentiels et rappellent aux gouvernements les promesses qu’ils ont faites.
Si la partie narrative du rapport examine effectivement ce point, le Groupe ne recommande pas une réforme des systèmes fiscaux capable de garantir que les entreprises contribuent d’une façon ou d’une autre au développement durable et aux communautés qui les soutiennent. En outre, il ne dit mot de la nécessité pour les gouvernements de mobiliser le maximum des ressources disponibles pour honorer leurs obligations en matière de droits humains et garantir la jouissance complète des droits économiques et sociaux, conformément aux principes de non-rétrogression et de niveaux minimaux essentiels/obligations fondamentales minimum.
Cet objectif est également déconnecté de plusieurs des autres cibles définies : la nécessité d’assurer le bon fonctionnement des chaînes logistiques et l’accès aux médicaments essentiels, par exemple, n’a pas le statut de cible, contrairement à ce qui était stipulé par l’Objectif no 8 des OMD. Il s’agit là d’une omission grave, étant donné que certains des problèmes qui se posent pour garantir l'accès à des traitements essentiels de médecine reproductive et à la jouissance de la santé et des droits sexuels et reproductifs sont liés à des faiblesses des financements, de la chaîne logistique et du système de santé qui donnent accès aux traitements vitaux, notamment ceux relatifs à la santé reproductive.
Conclusion
Pour aller de l’avant, nous préconisons d’œuvrer pour une meilleure reconnaissance des obligations qu'ont les États de respecter, protéger et assurer les droits humains des femmes et l'égalité des genres afin de renforcer une approche du développement durable axée sur les droits humains. Nous préconisons la mise en place d’une réglementation claire pour veiller à ce que les intérêts économiques ne passent pas avant l'objectif plus général du respect des droits humains et la promotion du développement durable. Nous appelons les institutions internationales à engager un changement de direction dans leurs politiques, qui actuellement ont pour effet de pérenniser les inégalités par le biais de réformes néolibérales qui empêchent les pays d’atteindre leurs objectifs fixés en matière de développement durable.
Si le rapport du Panel de haut niveau ressemble beaucoup aux OMD, ou, comme l’affirment certains, en constitue une version remasterisée, le monde connaîtra diverses mutations entre 2015 et 2030, notamment en ce qui concerne l’équilibre entre le pouvoir économique et politique. C’était là une occasion de faire un pas en avant qu’avait offerte le Secrétaire général. Et malheureusement, ce fut une occasion avortée. C’est à présent aux États membres qu’incombe la responsabilité de garantir que les quinze années qui suivront le jalon de 2015 donneront la priorité aux populations plutôt qu’au dictat des bénéfices.
Équipe de rédaction : Katia Araujo, Commission Huairou ; Heather Barclay, Fédération internationale du Planning familial ; Marta Benavides, Feminist Task Force ; Savi Bisnath, Centre pour le leadership mondial des femmes ; Eleanor Blomstrom, Organisation des femmes pour l'environnement et le développement ; Clare Coffey, ActionAid ; Kate Lappin, Forum Asie-Pacifique sur les femmes, le droit et le développement ; Rosa Lizarde, Feminist Task Force ; Abigail Ruane, Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté ; Alejandra Scampini, Association pour les droits de la femme et le développement
Réflexions Féministes : Le Programme De Développement Pour L’après-2015 Du Panel De Haut Niveau De L’ONU
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