ROFAF

  • Augmenter la taille
  • Taille par défaut
  • Diminuer la taille

Redéfinir les Objectifs du Millénaire pour le développement après 2015

Président du Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ), René Lachapelle est, depuis 2008, professionnel de recherche à la Chaire de recherche du Canada en organisation communautaire (CRCOC) de l’Université du Québec en Outaouais. Il complète un doctorat en organisation communautaire à l’École de Service social de l’Université Laval.

La révision des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) prévue pour 2015 est aussi une opportunité pour les 189 États signataires de reconnaître la viabilité de l’économie sociale et solidaire comme modèle alternatif de développement et pour éliminer la pauvreté.

Si les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), adoptés en septembre 2000 par les représentants de 189 États, ont favorisé un certain recul de la pauvreté dans le monde, beaucoup reste à faire. D’ailleurs, il est maintenant évident que les résultats attendus pour 2015 ne se concrétiseront pas. Pire, les chiffres récents démontrent bien que les inégalités se sont amplifiées. On travaille donc à préparer l’après-2015 dans un contexte où la difficulté principale demeure : les causes des problèmes ciblés par les OMD demeurent laissées pour compte. Car pendant que la mondialisation se fait dans un mode « où le droit à l’accumulation l’emporte sur le devoir de partage », les règles du commerce favorisent quant à elles la privatisation des biens communs que sont la terre, l’eau, la biodiversité, pour ne nommer que ceux-ci. Et si, dans les faits, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est le seul organisme international disposant de moyens qui permettraient de contraindre les États, ses règles tendent plutôt à garantir « le droit à la spéculation et à l’accaparement individuel des richesses » au détriment de la protection des droits des populations.

Il faut définir des indicateurs permettant de faire reconnaître par les élus locaux et nationaux la contribution de l’économie sociale et solidaire au développement humain.

Les dirigeants d’entreprises d’économie sociale de France et du Québec organisent périodiquement depuis 2004 un forum international pour réfléchir à la contribution des mutuelles, des coopératives et de la finance solidaire à l’économie mondiale. Lors de la 6e édition des Rencontres du Mont-Blanc (RMB), qui a réuni en novembre dernier des dirigeants de tous les continents, on y a fait le constat unanime que les ressources actuelles sont nettement suffisantes pour « atteindre d’ici 2020 toutes les cibles qui seront manquées en 2015 » dans les OMD. Mais pour cela, la volonté politique devra être au rendez-vous, de même que la capacité à mesurer les aspects qualitatifs du développement et de la gestion équitable des biens communs. Et ils sont convaincus que l’économie sociale et solidaire est en mesure de contribuer à un tel changement.

Redéfinir les indicateurs du développement
Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a ouvert une piste importante de redéfinition en publiant depuis 1990 l’Indice de développement humain (IDH) qui permet de mesurer non seulement les résultats de l’activité économique, mais également de mesurer le mieux-être des populations. Grâce à cet indice, l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de vie sont aujourd’hui considérés, tout comme l’écart entre les hommes et les femmes. Tout en indiquant une amélioration, ces indicateurs mettent aussi en lumière l’écart persistant entre les pays de l’OCDE et les pays du Sud.
Qui porte la responsabilité du développement?
Actuellement, il y a en Afrique et en Asie, 2,7 milliards d’agriculteurs pauvres. Ils seront 5 milliards en 2100. L’accès à la terre, pour nourrir le monde, est donc un enjeu mondial pour lequel l’innovation paysanne constitue une clé essentielle qui mérite d’être considérée et soutenue. Puisque l’année 2014 a été décrétée par l’ONU « année de l’agriculture familiale », pourquoi ne pas saisir cette occasion pour faire de la sécurité alimentaire un indicateur de développement? Pourquoi ne pas confronter les États à la vigueur de leur action pour préserver l’accès à la terre pour les paysans, pour favoriser l’usage de semences variées et adaptées aux réalités locales, pour encourager l’usage de méthodes de production respectueuses de l’environnement, pour faciliter la mise en marché locale, le commerce équitable et les circuits courts? Plutôt que de traiter l’agriculture comme une activité soumise aux règles du commerce, on pourrait faire de l’alimentation des populations un indicateur de développement durable. Et pourquoi ne pas faire de même pour les enjeux mondiaux que sont la migration des populations vers les villes, l’accès à l’éducation et l’emploi?

Les États ont une responsabilité politique à l’égard de leur propre population, certes, mais également à une échelle qui déborde leurs frontières. Cela est encore plus vrai aujourd’hui puisque la croissance démographique et les inévitables changements climatiques confrontent les pays du Nord et du Sud à des enjeux communs qui les placent dans une interdépendance réciproque face à l’avenir. Or, en 2012, la conférence de Rio+20 a démontré que les leaders politiques n’endossent pas cette responsabilité politique à l’échelle planétaire. Le gouvernement du Canada en a d’ailleurs fait une spectaculaire et désastreuse démonstration en choisissant d’inféoder l’aide publique au développement aux objectifs des multinationales canadiennes.
Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a ouvert une piste importante de redéfinition en publiant l’Indice de développement humain (IDH) qui a contribué à mettre en lumière l’écart persistant entre les pays de l’OCDE et les pays du Sud. Sur cette carte, le vert foncé correspond à un indice élevé de développement, alors que le rouge correspond à un faible indice de développement.


La contribution de l’économie sociale et solidaire
Pour transformer la mondialisation et sortir de la crise, l’économie sociale et solidaire dispose d’atouts importants. D’ailleurs, l’économiste Alain Lipietz affirmait lors des Rencontres du Mont-Blanc qu’on « ne pourra pas faire autrement que par l’économie sociale et solidaire ». Car pour ce dernier, l’économie sociale et solidaire a la capacité d’ouvrir des perspectives de changement « grâce à sa façon alternative d’entreprendre qui s’appuie sur des approches collectives qui intègrent toutes les parties prenantes ». Basée sur l’association de personnes et, de ce fait, enracinée dans la réalité locale, cette économie permet de rétablir le lien entre les activités économiques et la réalité sociale, lien que le libéralisme a rompu en plaçant la croissance des échanges avant la réponse aux besoins des personnes et des communautés.

La reconnaissance de l’économie sociale et solidaire comme alternative au modèle dominant de développement exige que les États puissent considérer son apport.

Cet enracinement dans le territoire apparaît à Alain Lipietz comme un atout privilégié. « Dès qu’une entreprise d’économie sociale et solidaire est active sur un territoire, elle y crée une dynamique inverse de celle de la mondialisation libérale : par sa seule présence, elle enrichit la communauté autour d’elle. » À titre d’exemple, la contribution à la collectivité d’une entreprise d’insertion dans le secteur de la restauration « va très au-delà des repas qu’elle fournit. Une entreprise coopérative ou associative mobilise du bénévolat, favorise l’achat local, rapproche producteurs et consommateurs et développe des circuits courts favorables à l’environnement. Elle apporte donc une plus-value qui mérite d’être reconnue et rémunérée à sa juste valeur, notamment par un soutien à la gratuité qu’elle implique. »

Affirmer un autre modèle de développement
Si les pouvoirs locaux ont tout avantage à soutenir une telle approche économique pour le développement local, il revient aux entreprises coopératives et associatives de faire la démonstration qu’elles savent réaliser des projets qui répondent aux besoins locaux, tout en faisant la preuve de la viabilité de cette approche alternative. Mais la reconnaissance de l’économie sociale et solidaire comme alternative au modèle dominant de développement exige que les États puissent considérer son apport. Et, selon Hugues Sibille, vice-président du Crédit Coopératif de France, il faudra pour cela que ses promoteurs développent des alliances avec les collectivités locales. Il faut qu’ensemble, citoyens et élus puissent revendiquer une contribution de l’État pour appuyer et renforcer les capacités locales afin de réduire les écarts entre les territoires.

La crise qui a secoué l’économie mondiale en 2008 – et dont nous ressentons encore les effets – est le produit direct du modèle libéra productiviste, lui-même responsable des résultats très mitigés des OMD. Tant que la croissance du produit intérieur brut (PIB) et celle des indices boursiers demeureront les principaux indicateurs de la santé économique, on ne pourra arriver à mesurer le développement.

Tant que la croissance du produit intérieur brut (PIB) et celle des indices boursiers demeureront les principaux indicateurs de la santé économique, on ne pourra arriver à mesurer le développement.

Actuellement, il semble y avoir un contexte favorable pour que l’économie sociale et solidaire puisse s’affirmer davantage comme modèle alternatif de développement et, ce faisant, contribuer de façon déterminante à l’élaboration de nouveaux indicateurs de développement axés sur le mieux-vivre. Le modèle productiviste apparaît de plus en plus insoutenable d’où l’intérêt pour une économie plurielle alliant l’économie sociale, l’économie publique et de l’économie privée. Plusieurs pays ont adopté une loi sur l’économie sociale – ou sont en voie de le faire – et les organismes de l’ONU s’intéressent de plus en plus à son apport pour ouvrir des voies alternatives.

Alors que les États signataires de la Déclaration du Millénaire procéderont à la révision de ses objectifs en 2015, les leaders de l’économie sociale et solidaire, de concert avec les élus locaux, ont le devoir de s’affirmer auprès des États afin de préparer ce rendez-vous et le faire déboucher sur la redéfinition du modèle dominant de développement.

Les acteurs québécois sont à préparer le 2e Sommet international des coopératives, qui se tiendra à Québec cette année. Si cette nouvelle rencontre sera d’abord l’occasion pour les acteurs locaux de prendre conscience de la portée transformatrice de leur action à une échelle plus large, elle sera aussi une occasion unique de faire converger leurs efforts pour préparer l’après 2015.

 

A travers cette section, le ROFAF aimerait informer son audience sur les différents processus en cours pour l’élaboration du nouveau cadre de développement pour l’Après 2015, les actions de mobilisation et de plaidoyer entreprises pour les droits des femmes ainsi que les différentes possibilités d’engagement qui existent encore. En savoir plus